Réalisé entre 1885 et 1887 d’après les plans de l’ingénieur Charles Shaler Smith, le pont ferroviaire Saint-Laurent s’inscrit parmi les premières grandes réalisations de la Dominion Bridge Company.
Propriété du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP), il est conçu afin de concurrencer le pont Victoria appartenant au Chemin de fer du Grand Tronc qui reliait, depuis le tournant des années 1860, l’île de Montréal à la Rive-Sud. Il s’élève au-dessus du fleuve Saint-Laurent, entre la municipalité de la paroisse de Lachine (aujourd’hui LaSalle) et Kahnawà:ke.
L’impact du pont sera perceptible, non seulement pour le transport ferroviaire entre l’île de Montréal et la Rive-Sud mais engendra la construction de la gare Highlands en 1890 pour desservir la clientèle locale et ce, jusqu’en 1978, ainsi que l’aménagement d’une nouvelle voie ferrée longeant le canal de Lachine entre cette gare et Montréal en 1906. Fort du succès, le CP double ses voies ferrées en 1913 pour répondre à l’augmentation du trafic.
Le pont actuel est reconstruit entre 1910 et 1913 afin de le renforcer et l’élargir pour permettre le passage plus élevé du trafic ferroviaire et la charge supplémentaire des nouvelles locomotives. Les travaux furent aussi réalisé par la Dominion Bridge Company. D’autres modifications furent nécessaire en parallèle avec l’ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent en 1959.
Source: Bibliothèque et Archives Canada/Sandford Fleming fonds/a027638
Le pont est toujours en usage, permettant notamment la circulation des trains de banlieue.
Défier le vertige
Une partie du pont ferroviaire Saint-Laurent traverse la réserve de Kahnawà:ke. Puisque le pont s’élève 36 mètres au-dessus du fleuve Saint-Laurent, pour son assemblage l’entreprise a recours aux ouvriers Mohawks de Kahnawà:ke. Depuis la construction du pont Victoria, ces derniers sont reconnus pour leur agilité et leur capacité à défier le vertige lors de l’exécution de travaux en hauteur.
Les membres des Premières Nations semblaient fascinés par les travaux de construction du pont. Ils grimpaient sur les poutres, harcelant les contremaîtres pour avoir la chance de prendre part au travail. Lorsque certains d’entre eux ont obtenu des emplois, on a vu s’installer une tradition qui en a fait des travailleurs recherchés sur les ouvrages en hauteur. Ils ont été surnommés les « hommes d’acier » sur tout le continent nord-américain (Dominion Bridge Company, 1945, p.10 – traduction libre).
L’expertise des Mohawks en tant que monteurs de structures d’acier est depuis bien établie et ils sont sollicités pour différents grands projets tant au Canada qu’aux États-Unis. Quant au métier, il se transmet de génération en génération et ce, même si la demande n’est plus la même depuis les années 1970.
Pour ne nommer que quelques exemples de leur apport, au Québec, ils oeuvreront notamment à la construction du pont de Québec, formant la moitié de l’équipe de monteurs. Lors de l’effondrement de la partie sud du pont en 1907, 33 d’entre-eux perdirent la vie.
La construction du pont Honoré-Mercier (1934) est également un lieu de collaboration entre le conseil de bande de Kahnawà:ke et les entrepreneurs Mohawks avec la Dominion Bridge Compagny, qui a réalisée la structure. Comme ce fut le cas pour le pont ferroviaire Saint-Laurent, le pont Honoré-Mercier subi différentes phases de transformations et, en 2009, c’est à l’entreprise Mohawk Bridge Construction que le mandat de la réfection d’une partie de ce pont est confiée.
L’expertise Mohawks ne fut pas uniquement sollicitée pour la construction des ponts. Ils contribuèrent au paysage de New York, participant entre autre au montage de la structure d’acier de l’Empire State Building (1932) de même qu’à celle du World Trade Center (1973) et lors de la reconstruction de Freedom Tower (2014).
Là où la fiction rencontre la réalité
Ces monteurs de structure d’acier ont d’ailleurs fait l’objet de films dont : Charpentier du ciel (1966) de Don Owen ou Spudwrench et, l’homme de Kahnawake (1997) d’Alanis Obomsawin, de même que des romans comme : Les saisons de la solitude (2008) par Joseph Boyden ou Ciel d’acier (2015) par Michel Moutot. Le livre Pardon aux Iroquois d’Edmund Wilson est précédé d’une étude de Joseph Mitchell titrée les Mohaws, charpentiers de l’acier (Yvon, A.-M., 2019).
S’ils furent décrits de manière colorée pour leur agilité et leur témérité, il est faux de penser que les Mohawks monteurs de structure d’acier ne connaissent pas la peur des hauteurs. La peur n’est cependant pas un frein mais plutôt un moteur de survivance leur permettant de rester à l’affût, d’éviter les blessures et pire (Radio-Canada, 2004). Il n’en demeure pas moins qu’il faut du courage, de la force et des habilités pour pratiquer ce métier.
Sources
Image mise de l’avant : Titre: [Dominion Bridge]. Steel Bridge on the Canadian Pacific Railway, over the St. Lawrence River, at Lachine, near Montreal, PQ. Source: Bibliothèque et Archives Canada/Dominion Bridge Company fonds/e011198104
Dominion Bridge Company, 1945, Builders in steel, Lachine, P.Q. : Dominion Bridge, 64 pages.
Dominion Bridge Company, 1972, Cavalcade of steel 1882-1972, Montréal : Dominion Bridge Co., 96 pages.
Radio-Canada, 2004, « Les hommes d’acier », Enjeux – Radio-Canada. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/actualite/v2/enjeux/niveau2_4436.shtml.
Gravel, D., 2010, « Deux ponts à ne pas confondre : Honoré-Mercier et Saint-Laurent », Histoire Québec, vol.16, no.2, 2010, pp.20-24. En ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/hq/2010-v16-n2-hq035/66135ac.pdf.
Joncas, C.-H., 2014, « L’héritage de la Dominion Bridge : entre le matériel et l’immatériel », Spacing Montreal – History, 19 avril 2014. En ligne : http://spacing.ca/montreal/2014/04/19/lheritage-de-la-dominion-bridge-entre-le-materiel-et-limmateriel/.
Juneau, M., s.d., « 40. Pont Saint-Laurent », Montréal. Toute une histoire! … au fil du fleuve. En ligne : http://montreal-histoire.com/resource/3308.
Ponts Jacques Cartier + Champlain Bridges Canada, s.d., « Pont Honoré-Mercier », Communauté + Patrimoine. En ligne : https://jacquescartierchamplain.ca/communaute-patrimoine/structures-et-projets/pont-honore-mercier/.
Yvon, A.-M., 2019, « Les Mohawks : bâtisseurs du monde moderne », Radio-Canada, 18 juin 2019. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1009042/mohawks-kahnawake-autochtones-monteurs-acier-charpentier-ponts
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